Dis-moi, quel est ton parfum de glace préféré ?

« Alors, dis-moi, quel est ton parfum de glace préféré ? »

Allongée sur la table froide, la lumière blanche du bloc m’aveugle. Ils posent toujours les mêmes questions. C’est toujours à propos des parfums de glace que j’aime manger l’été, du nom de mes peluches, de ma couleur préférée, toujours les mêmes questions. Le masque couvre ma bouche, le gaz se répand, et je peux sentir avec une grimace de dégoût son odeur. Je déteste cette odeur. C’est peut-être l’une des choses que je déteste le plus quand je suis dans cette salle. Autour de moi, les infirmiers et médecins s’affairent. L’une d’entre elle se saisit de mon bras, y enfonce une seringue, et fait couler l’anesthésiant. Le gaz doit faire déjà bien effet, je n’ai même pas senti la piqûre.

« J’aime bien la glace au caramel. »

L’infirmière réapparaît dans mon champ de vision, et pendant un bref instant son visage couvre l’affreuse lumière blanche braquée sur moi.

« Oh, moi aussi j’aime beaucoup le caramel ! »

Évidement, ils aiment toujours tout ce que j’aime. Ça doit faire sourire les autres enfants, je suppose. Mais pas moi. Je ne me fais plus avoir maintenant. Petit à petit, ma vision se noircit, la lumière devient de plus en plus faible. Et puis d’un seul coup, je sombre.

J’ouvre les yeux. Je ne peux plus bouger. C’est toujours la même sensation, comme si je n’avais plus aucune force, que je n’étais plus qu’une coquille vide. Le goût du gaz reste dans ma bouche pâteuse, et descend même jusque dans ma gorge. Je tousse. Le goût paraît encore plus présent. C’est dégoûtant. Lentement, je tourne la tête et observe la salle. Il y a une dizaine d’autres lits, avec d’autres patients, plus ou moins réveillés. Je tâte mon ventre, et sens sous les draps la forme des pansements sur la droite. Je fais attention en bougeant mon bras, à cause du cathéter.

« Bonjour Ambre, tu es réveillée ? »

Encore une question stupide. Ça fait bien cinq minutes que je regarde dans la salle.

« Oui. »

L’infirmière regarde les moniteurs, coches de petites cases sur son papier, puis se tourne vers moi avec un sourire.

« Je vais aller chercher ta maman, d’accord ? Elle sera là dans moins de 5 minutes. »

Enfin une parole intéressante. Je lui souris, et la regarde s’éloigner. Je ne quitte pas des yeux la porte par laquelle l’infirmière est sortie. Et enfin, après un moment qui m’a semblé interminable, elle s’ouvre de nouveau, et ma maman est là. Elle vient vers moi avec son grand sourire et ses cheveux tout bouclés.

« Ça va ma chérie ? »

Elle me caresse tendrement la joue.

« L’infirmière m’a dit que tout s’était bien passé, on va pouvoir aller dans la chambre ».

La dame enlève les freins du lit, et le pousse vers la porte menant aux chambres. Maman reste à côté, tandis qu’on traverse les couloirs. La tête posée sur l’oreiller, je vois les lumières et les plaques bicolores du plafond défiler. Enfin, on s’arrête devant une chambre et l’infirmière manœuvre le lit jusqu’à sa place. Je la regarde rebrancher les différents moniteurs qu’elle avait débranchés dans la salle de réveil, et vérifier la poche reliée au cathéter.

« Voilà Ambre, on est tout bon. Le docteur passera te voir dans deux trois jours, mais si tout est bon d’ici là, tu devrais pouvoir rentrer chez toi en milieu de semaine prochaine. »

Ça me fait donc une semaine alitée. Ça me va.

« Je pourrais manger à partir de quand ? »

L’infirmière regarde maman, puis me dit gentiment que je ne pourrais pas manger tant que je serais hospitalisée. Je me renfrogne. Ça, c’est sûrement la deuxième chose que je déteste le plus quand je viens à l’hôpital. Les premiers jours passent, mais je ne me sens pas bien. Je n’arrive pas à dormir. Après, on ne dort jamais bien à l’hôpital, parce que les voyants des moniteurs sont toujours allumés et surtout, ils font ce petit « bip » insupportablement répétitif. Et encore pire que la lumière, c’est essayer de dormir avec un bruit constant à côté de l’oreille qu’on ne peut pas arrêter. Maman ne dort pas avec moi, elle dort chez sa cousine Élisabeth. Du coup elle n’est jamais là avant 9h, et c’est long de l’attendre. Dans la journée je ne fais pas grand-chose. Je regarde la télé, je fais du coloriage, parfois je lis. J’aime bien lire, surtout des histoires joyeuses parce que ça me change du monde tout blanc de l’hôpital. Le blanc des draps de mon lit, qui sentent les médicaments et la mauvaise lessive. Le blanc des vêtements des infirmières qui viennent regarder les moniteurs et me faire la toilette le matin dans le lit, avec leur gant de toilette tout chaud. Le blanc des murs de la chambre, des murs des couloirs, partout. Du coup je n’aime pas cette couleur. Pour moi, c’est la couleur de l’hôpital, et l’hôpital c’est toujours des mauvais moments : les longs rendez-vous à jeun, les pansements qui tirent la peau, les piqûres, et cet horrible cathéter. Le pire moment au final, c’est quand on doit rentrer à la maison, parce qu’avant on doit enlever les pansements et ce fichu cathéter. Et ça fait mal.

Le matin après la troisième nuit, le docteur vient me voir. Il avait un petit sourire, mais ce n’était pas le sourire de quand tout va bien. J’étais fatiguée mais c’était trop évident. Le docteur a demandé à parler avec maman dans le couloir, puis ils sont revenus. Maman ne pleurait pas, alors c’est que ce n’était pas si grave que ça, mais elle faisait quand même une drôle de tête.

« Bon Ambre, nous avons fait plusieurs analyses, radios, échographies. Malheureusement, les résultats ne sont pas bons. Il y a eu des problèmes dans ton corps. On pensait que tu pourrais partir dans quatre jours maximums. En fait, il faudra te réopérer pour réarranger les dégâts, d’accord ? »

Encore une question stupide. Est-ce que je suis d’accord d’être de nouveau opérée ? Bien sûr que non. Est-ce que j’ai le choix ? Toujours non. Alors je fais ce que tout enfant peut faire dans ces cas-là. Je hoche la tête.

Le docteur s’en va. Maman me regarde avec un triste sourire. J’en ai marre. Marre de ce ballet incessant d’infirmières autour de moi. Marre des questions stupides. Marre du gaz qui sent mauvais. Marre de ne pas pouvoir manger. Marre des médicaments. Marre de la douche de bétadine qui empeste. Marre d’avoir mal de partout. Marre de toutes ces cicatrices. Marre du bloc. Je déglutis. Je m’étouffe. Je mets mes mains sur mon visage. Je pleure.

« J’en ai marre du blanc. »

Ambre Bertoux - Blanc / France

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