Vous voulez quoi pour votre enterrement ?

Pour le contexte, on est le 31 octobre, on vient de récupérer mon oncle « Tonton moustache » ou « Shangala » (ça veut dire petit Jean en alsacien) de la gare. On rit, on chante, on met du bon gros rap avec mes frères. Puis on se gare, on sort, on est en retard, mais Shangala prend quand même le temps de me raconter comment il s’est chié dessus à une soirée pendant que nos grands-parents nous pressent, nous poussent.

On passe la porte de la chambre funéraire et là, bon changement d’ambiance. C’est le premier enterrement auquel j’assiste. Les murs sont gris, il fait froid. Tout le monde attend en silence, le cercueil est ouvert, et pour la première fois, je revois mon arrière-grand-mère depuis Noël dernier. Monique, elle s’appelle, elle ressemble à une poupée de cire. Je sais qu’elle est morte, que c’est son corps inerte devant moi, là, mais on dirait une poupée endormie, sereine.

Shangala est resté dans le hall avec les plus petits cousins, on me demande de le chercher, je sors, il regarde le sol et me dit : « Un par an, ça me suffit ».

Je retourne dans la chambre funéraire. Je fais la bise à des inconnus, le bruit des bouches contre les joues résonne. Je m’accroche fermement à la lettre que j’avais écrite à Monique quand elle était encore à l’hôpital, lettre qui ne lui est pas parvenue à temps. Ma grand-mère me pousse au centre de la salle, à côté du cercueil, et m’incite à la lire. Je dois la lire. Je dois la lire devant une assemblée d’inconnus. Peggy, la cousine de ma mère, pleure en silence.

Alors je défait le ruban, je défait le cachet de cire (j’adore écrire des lettres) et je lis.

Liebe Oma Monique, Ich hoffe, dass es dir gut geht. Ich schreibe dir diesen Brief, weil ich weiß, dass du im Krankenhaus bist und ich nicht weiß, wann ich dich wiedersehen werde. Ich liebe dich ganz fest. Ich möchte dir für alles danken, was du getan hast. Danke, dass du dich immer so gut um Doris, Valerie und mich gekümmert hast. Ich weiß noch nicht, wie schwer es ist, Kinder zu tragen und aufzuziehen, aber ich kann mir vorstellen, dass es nicht immer leicht war. Danke, dass du so hart gearbeitet hast. Ich hoffe, du bist stolz auf das Leben, das du dir aufgebaut hast. Ich hoffe, dass ich eines Tages auch stolz auf mein eigenes sein werde und die Möglichkeit habe, meine Urenkelin zu sehen. Ich hatte immer großen Respekt vor dir und deiner Geschichte. Danke, dass du sie während einer Teestunde oder eine Spielrunde von Elfferaus mit uns geteilt hast.

Ich liebe dich und werde dich immer sehr lieben.

Deine Urenkelin, Juliette

PS : Mamie m’a dit que tu ne supportais plus l’odeur des fleurs, donc tu en trouveras des séchées dans la lettre.

Bon, je vous l’ai écourtée parce que mon allemand n’est pas super bon, mais c’était à peu près ça. Je pose la lettre entre les roses blanches qui couvrent la poitrine de Monique. Je me tourne vers ma grand-mère, et là elle fond en larmes, elle hurle, c’est la première fois que je la vois comme ça. Mes frères sont blancs comme des linges. Les gens du cimetière viennent fermer le cercueil et le sceller avec de la cire comme on scelle une lettre. Ma grand-mère gémit entre deux sanglots : « Au revoir, maman ». Puis un prêtre vient. Il asperge le cercueil d’eau bénite, et il commence son charabia. J’ai envie de le frapper, dans la salle tout le monde fait les signes, dit les mots en même temps que lui. Tout le monde, sauf moi et mes frères. C’est fou quand même, on a été tous les trois à l’école catholique et on n’est pas foutu de dire « Notre père qui êtes aux cieux gnagnagna ». Tout le monde arrose le cercueil d’eau bénite. Régis casse un vase, ma mère manque de renverser le bénitier, bref, c’est pas ultra sacré comme moment. Le cercueil est ensuite amené au cimetière de Guebwiller où repose Reinhart, mon arrière-grand-père. Le cimetière est plein à craquer, on se marche dessus tellement il n’y a plus de place entre les tombes. Ils doivent manœuvrer pour faire rentrer le cercueil dans ce trou trop petit. L’installation est bancale. Ils mettent en terre Monique la tête la première. Shangala se barre à ce moment. Deuxième tournée de larmes et d’eau bénite, puis ma famille va rendre hommage aux autres membres du cimetière.

J’ai ramassé un bout de vase cassé, je dois faire vite, le mec à la pelle est juste derrière moi. Je me tranche le pouce, je laisse le sang couler sur le bois du cercueil de Monique et la céramique de l’urne de Reinhart. Je me mets à genoux et je prie, je prie mes propres dieux dans ma propre langue. Je regarde une dernière fois le trou, puis je sors. Je rejoins Shangala à l’entrée du cimetière. Il me tend une cigarette, on fume en silence. Puis on explose de rire, on se fout de la gueule du prêtre, on respire enfin, et on se demande ce qu’on voudrait pour notre enterrement.

Shangala veut un enterrement à la Viking, sur sa planche de surf, sur le lac d’Hourtin, je lui promets alors de m’entraîner au tir à l’arc. Moi, je ne sais pas, j’ai envie d’une énorme fête dans la forêt, je veux de la musique, de la danse, et surtout pas que mon corps soit exposé ou qu’il y ait de prêtres présents. Quand je rentre à Paris, j’en parle à mes colocataires : « Ce n’est pas juste ce que tu veux, on sera en deuil, on ne voudra pas faire la teuf ». Alors je me suis demandé, merde, quoi, c’est mon enterrement, si je veux une énorme teuf, c’est mon droit, non ? Je ne sais pas, vous, vous voulez quoi pour votre enterrement ?

Juliette Parent - Vous voulez quoi pour votre enterrement ? / France

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Elle s'arrêta quelques secondes pour m'offrir une cigarette