Ça s'est passé à la Baie de Somme en avril 1802

Je m’apprêtais ce jour-là à jeter à la poubelle un disque vinyle abandonné, je ne savais pas où le mettre. Il est des objets comme celui-là qui ne trouvent pas leur place. Où qu’on soit, où qu’on se pose, on ne sait jamais quoi en faire. Celui-ci me causait du souci, c’était une broutille que j’avais acquise, la pochette délabrée, le plastique effiloché, les recoins rognés par l’usure. J’avais des cartons pleins les bras, un paquet d’étages à descendre, quelques exemplaires de Kafka teintés de poussière et de cendre.

Il ne restait que le vinyle. Invisible et encombrant, reclus jusqu’à l’exclusion, disparaissant dans l’évidence.

Il finira seul sur le parquet froid, m’avait prévenu le marchand, le disquaire de la rue des Lilas qui en avait eu pour son argent. Il finira seul, parce que le blues est un divertissement sans bruit, à peine plus bavard qu’une épouse dont on étouffe le moindre cri. Alors ça passe en silence, peu à peu le volume baisse, soudain on n’entend plus les balances et la chanteuse nous laisse.

J’ai fini ce jour-là par jeter le vinyle qui semblait seul même dans les gravats au milieu des ordures. Amy Winehouse venait de naître, là, dans le décor d’une poubelle de quartier où bien d’autres vedettes chantaient avec les morts.

Maude Benett

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